Cigarette. Tous les jours à la même heure, il s’assied dehors sur l’une des chaises en osier de la terrasse, la plus proche du trottoir, la plus éloignée possible du personel soignant. Il attend tous les jours où il ne pleut pas. Presque tous les jours il ne m’attend pas, car je ne fume pas, mais il supplie du regard en tenant une cigarette interdite imaginaire entre ses doigts. Je lui réponds tous les jours en silence, que navré je ne fume pas. Au début je parlais, maintenant je ne fais qu’un geste complice mais dépité en lui offrant mes mains vides.
Puis je grimpe la passerelle et me retrouve en quatre enjambées au-dessus de la terrasse barricadée d’où il ne sort pas. Arrivé au sommet, au-dessus de la route, par-dessus l’autoroute au-delà de la voie ferrée j’aperçois la mer. Ce matin elle est vert bouteille et sombre à l’horizon, mais le soleil qui vient de se lever l’illumine comme de l’intérieur et le vent qui souffle fort projette l’écume sur la plage et lui donne un air d’océan et d’aventure. De la maison de retraite, on ne voit rien de tout cela. Il faudrait grimper sur le toit, sauter la barrière et grimper la passerelle. Chaque jour, le vieil homme reste assis dans son coin et tous les autres restent dedans devant la télévision, à l’abri du bruit de l’autoroute qui couvre le bruit des vagues et du vent.
Un jour, je commencerai à fumer (je ferai semblant) et je l’inviterai pour un clope imaginaire sur les bancs vides en hiver, en plein vent, vue plein large.