Gran Via n°1089

Une grand boîte à numéros. Le numéro 1089 de Gran Via.

On s’enfonce dans une tranchée, dans cette rue étroite,  rectiligne et identique que la parallèle, et l’autre parallèle, mais ici c’est le numéro 1089.

Le bâtiment est infini, c’est une grande falaise troglodyte mais avec la mocheté caractéristique du béton uniforme. C’est une muraille grise brune sale qui absorbe la lumière.

La porte est toujours fermée et lourdement grillagée. On y entre comme dans un vieux musée et le gardien nous attend toujours à l’entrée. La lumière bleutée des néons et les murs des azulejos bon marchés donnent des aires de terrarium à cet espace confiné. Il n’y a qu’une table et une chaise, une plante verte (en plastique?) et le gardien reptile qui se baigne à la lumière des néons, tournant son regard  lentement vers l’entrée. Il se dandine légèrement sur sa chaise, va et vient, il hésite. Il ne va pas se lever, il hésite seulement à vous donner un sourire ou juste un bonsoir.  Il n’est pas sûr de bien vous reconnaître dans la semi-lumière qui vous projète en hombre chinoise. Tous les jours il voit passer les dix étages, multipliés par quatre cages d’escaliers fois deux portes en vis-à-vis à chaque étage. Cette grand termitière est remplie, chaque appartement est habité. Mais personne n’a pu y creuser sa propre galerie. Toutes les portes sont identiques, s’ouvrent et claquent avec le même son qui résonne dans sa cage. Chacun ouvre sa porte 1a, 1b, 2a, 2b, 3a, 3b, 4a, 4b, 5a, 5b, 6a, 6b, 7a, ,7b, 8a, 8b, 9a, 9b, 10a, 10b du numéro 1089. Derrière se trouve son petit monde, ses rideaux, le carrelage de la couleur qu’il a choisit, son sofa et sa télévision.

Chacun allume sa télévision. Du dehors , les téléviseurs projettent la lumière froide qui dance sur les murs et les rideaux, se reflètent sur les fenêtres en suivant la même cadence, la même petite séquence hypnotique de la publicité précédant le téléjournal : la pub qui dit “en 1995, on a télétransporté un proton… as-tu pensé à tous ce que l’on pourrait perdre… et l’image en musique montre à tous le même voyage en voiture, le voyage plus important que la destination, la voiture plus importante, les rencontres, les rêves et l’évasion.

 

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